Photographie argentique

2022

L’oiseau migrateur (1), Approcher l’animal en milieu naturel,

Painboeuf, Estuaire de La Loire, 2022

4 photographies argentiques couleur, 45 x 45 cm

Le sujet de la série est une bécassine que je photographie à différents moments. L’estuaire de la Loire comme décor apparaît à l’arrière-plan ainsi qu’une silhouette humaine à côté de l’oiseau, acteurs d’un ballet intrigant dans un espace naturel. Les protagonistes sont mis en scène, déployés selon une gestuelle précise. Le théâtre qui se joue ici, oscille entre scène de chasse et comédie.

Dans la réalité, l’immobilité de l’oiseau ne se réduit jamais à l’immobilisme, ni au simple repos car, immobile sous les hautes herbes, la bécassine est toujours en alerte. Longues pattes et long bec, de la famille des oiseaux d’eau, sa morphologie s’est adaptée à son environnement. Elle se reproduit dans les zones herbeuses humides, au bord de marais d’eau douce, dans les champs inondés.

Ici, sur le rivage de la Loire, avec un oiseau caché dans les hautes herbes, la proximité des corps est le premier indice déconcertant.

Si l’on se rend compte que cet oiseau n’est pas un oiseau dressé ou un animal dans une réserve en semi-liberté, on réalise alors qu’il s’agit d’une bête figée dans des poses identiques. Ainsi, d’une image à l’autre, les postures se copient. Car il s’agit bien d’un oiseau naturalisé, placé dans un espace naturel.

L’oiseau du taxidermiste devient un oiseau vivant dans un milieu naturel. Ce qu’on lui demande c’est si possible d’être aussi beau que nature. Je ne photographie que pour fixer ce passage. La mise en scène consiste alors, à créer les conditions de cette transformation. La perturbation consiste, dans mon travail en un retournement.

Un retournement, comme on retourne un gant, qui reprendra après coup son aspect initial ou comme on le fait d’une boîte dont le contenu va se déverser sur la table pour être rangé à nouveau. L’ordre naturel est ainsi perturbé, car l’opération est à tout moment réversible.

Réalité au départ, réalité à l’arrivée, même si entre les deux une mutation profonde a eu lieu, mutation dont le cliché photographique constitue le témoignage.

Ce qui compte, c’est le sentiment de réalité, comme une fiction qui en arriverait à se rêver et à se faire vraie.

Enfin, le décor lui aussi est mis en doute, l’oiseau mort dit son artificialité.  De naturel, il devient artificiel, paysage industriel transformé par la main de l’homme. La première impression de nature sauvage s’éloigne pour laisser place à l’illusion.

Sur une des 4 photographies, on voit de l’autre côté du fleuve, les énormes raffineries de Donges. Ou plutôt l’estuaire, parce que Paimboeuf se trouve à 10 kilomètres de l’estuaire de la Loire, là où l’océan s’ouvre et le fleuve inverse son cours deux fois par jour. On prend conscience alors, que la nature transformée par l’homme est aujourd’hui en tout lieu, un artifice.

 

 

L’oiseau migrateur (2), Approcher l’animal en milieu naturel,

Montréal, Saint-Laurent, 2023

4 photographies numériques couleur, 45 x 45 cm

Dans la deuxième série, l’oiseau a parcouru plus de 6000 km pour se poser sur les rives du Saint-Laurent au Canada.

Un déplacement improbable car dans la réalité son axe de migration est celui qui passe de l’hémisphère nord à l’Afrique du Nord, 6000 km pour se reproduire dans les zones herbeuses humides. Cette migration fictive d’est en ouest se joue des distances, du temps et des saisons.  Je ne parle en effet, ni en scientifique, ni en ornithologue.

La bécassine est photographiée en hiver, parc du Mont Royal à Montréal au petit matin.

Ici aussi, l’ambiguïté règne entre nature et fausse nature, grottes artificielles, architectures fausses, végétaux factices et vraie neige. Le lieu choisi ne s’ancre pas dans un site post-industriel ou dans un terrain vague des marges urbaines mais justement dans un parc, cet espace destiné à la communauté, à ses temps de loisir.

En ville, dans les parcs, l’oiseau est souvent la seule présence sauvage accessible, la seule trace du vivant dans l’environnement immédiat.

Les photographies de l’animal veulent ressembler en tout point à celles qui documentent la vie animalière, celles que l’on peut prendre en milieu naturel, jouant sur la distance et la profondeur de champ.

Seulement ici, le plateau en bois sur lequel est fixé l’animal est montré, dans un geste qui découvre la main qui le tient. L’indice d’artificialité déjoue le piège. La forêt, n’est pas non plus une forêt naturelle mais un parc végétalisé au centre de Montréal que traversent les skieurs de fond.

 

Hélène Benzacar