Photographie argentique

2022

L’oiseau migrateur 

Approcher l’animal en milieu naturel,

Saint-Nazaire, Estuaire de La Loire, 2022

Montréal, Saint-Laurent, 2023

3 photographies argentiques couleur, 45 x 45 cm

3 photographies numériques couleur, 45 x 45 cm

 

Le sujet de la première série est une bécassine que je photographie à différents moments. L’estuaire de la Loire apparaît à l’arrière-plan ainsi qu’une silhouette humaine à côté de l’oiseau, acteurs d’un ballet intriguant dans un espace naturel. Les protagonistes sont mis en scène, déployés selon une gestuelle précise. Le théâtre qui se joue ici, oscille entre scène de chasse et comédie.

Dans ce marais, sur le rivage de la Loire, avec un oiseau caché dans les hautes herbes, la proximité des corps est le premier indice déconcertant. Comment peut-on interpréter à la fois l’assurance du personnage et l’indifférence de l’animal ?

Il y a incohérence, contradiction, énigme et opacité tandis que, à priori, tout concourt à une vision réaliste à partir des éléments fournis.

Et si l’on se rend compte que cet oiseau n’est pas un oiseau dressé ou un animal dans une réserve en semi-liberté, on réalise alors qu’il s’agit d’une bête figée dans des poses identiques. Ainsi, d’une image à l’autre, les postures se copient. Car il s’agit bien d’un oiseau naturalisé, placé dans un espace naturel.

L’oiseau du taxidermiste devient un oiseau vivant dans un milieu naturel. Ce qu’on lui demande c’est si possible d’être aussi beau que nature. Je ne photographie que pour fixer ce passage. La mise en scène consiste alors, à créer les conditions de cette transformation. La perturbation consiste, dans mon travail en un retournement.

Un retournement, comme on retourne un gant, qui reprendra après coup son aspect initial ou comme on le fait d’une boîte dont le contenu va se déverser sur la table pour être rangé à nouveau. L’ordre naturel est ainsi perturbé, car l’opération est à tout moment réversible.

Réalité au départ, réalité à l’arrivée, même si entre les deux une mutation profonde a eu lieu, mutation dont le cliché photographique constitue le témoignage.

Ce qui compte ici, c’est le sentiment de réalité, comme une fiction qui en arriverait à se rêver et à se faire vraie.

Mais dans la réalité, l’immobilité de l’oiseau ne se réduit jamais à l’immobilisme, ni au simple repos car, immobile sous les hautes herbes, la bécassine est toujours en alerte. Longues pattes et long bec, de la famille des oiseaux d’eau, sa morphologie s’est adaptée à son environnement. Elle se reproduit dans les zones herbeuses humides, au bord de marais d’eau douce, dans les champs inondés.

Dans la deuxième série, l’oiseau a parcouru plus de 6000 km pour se poser sur les rives du Saint-Laurent au Canada.

Un déplacement improbable car dans la réalité son axe est celui qui passe de l’hémisphère nord à l’Afrique du Nord, 6000 km pour se reproduire dans les zones herbeuses humides. Cette migration fictive d’est en ouest raconte qu’être photographe signifie pour moi que par-delà l’immobilité, c’est avant tout de faire le choix d’une ouverture à d’autres espaces possibles.

 

 

Hélène Benzacar